Sainte Anne

Je sais même pas par où commencer en fait

En même temps c’est la première fois que je fais ça

Donc vous m’excuserez

Si ça part un peu dans tous les sens

Ou si je suis trop confus

Faut dire qu’en ce moment

J’ai eu bien du mal à mettre mes idées au clair quand même

J'ai bien du mal à trouver mes mots

Enfin voilà je vous dresse le tableau vite fait

Je suis né dans une famille plutôt aisée

J’ai toujours été privilégié

J’ai jamais manqué d’amour, ni de rien d’autre d’ailleurs

Même si ma mère qui vient quand même d’un milieu assez populaire

Etait parfois un peu sévère avec mes frères et moi

A l’école j’étais bon élève, à la maison j’étais poli

Je me souviens pas avoir fait trop de conneries étant petit

Par contre, j’ai fait des études correctes

Et aujourd’hui, je sais que mon parcours est plus ou moins tracé

Disons que je sais où j’arriverai si je continue sur ma lancée

J’aurai probablement une femme et de beaux enfants

Un crédit à payer, un épagneul anglais et un coupé-cabriolet

Et pourtant vous voyez

Ça fait maintenant presque 6 mois que je dors à peine

Que je peux ne rien bouffer pendant deux jours

Sans même m’en apercevoir

Et quand je me regarde dans le miroir j’y vois un mec bizarre

Pâle, translucide, tellement livide

A faire sourire un génocide

Docteur, je rigole pas

Il faut que vous fassiez quelque chose pour moi

N’importe quoi

Prenez un marteau et pétez-moi les doigts je sais pas

Parce que là je peux vraiment plus

Je peux plus sortir dans la rue

Je peux plus mettre les pieds dans des bureaux

De toute façon je suis devenu incapable de prendre le métro

Ça pue la mort, ça pue la pisse

Ça me rend claustro et agressif

Et puis j’ai vraiment l’air d’un gland dans mon costard trop grand

Et mal taillé que même si je voulais faire semblant

Y aurait toujours marqué en gros "troufion" sur mon front

Et puis tous ces gens qui cherchent absolument à s’entasser

Qui poussent, qui suent, qui sifflent entre leurs dents comme des serpents

Vas-y du con, monte, monte, t’as raison

De toute façon, t’auras beau être le premier arrivé

A la clé on va tous se taper la même journée scabreuse

Les yeux collés à l’écran de l’ordinateur

Tu te détruis les pupilles à lire en diagonale

Des choses auxquelles t’entraves que dalle

"Nan mais tu comprends, il est hyper important ce dossier

Le client, il raque 300 euros de l’heure

Alors tu te débrouilles, tu vas chercher sur google s’il faut

Mais tu me finis ça pronto"

Oui, vous avez parfaitement raison

C’est de ma faute je suis pas assez réactif

Ah c’est drôle oui, collez-moi des gifles

Connard

Et si t’allais plutôt te carrer des poignées de porte dans le cul pour voir?

J’en ai assez de me taper à déjeuner

Des salades composées à 12 euros

Ou de la barbaque en carton bouilli

De manger sur un coin de table

Puis de passer des après-midis minables à enculer les mouches

Et finir par embrayer sur des "afterworks" entre collègues

Mais quel cafard à croire qu’on aime tellement

Se faire enfler la journée qu’on en redemande le soir

Mais bon, faut dire aussi qu’on y rencontre des meufs

Ou plutôt des "célibattantes"

C’est-à-dire des nanas qui comme nous ont des problèmes affectifs

On se présente, on leur raconte des cracks

On leur dit qu’on est collab alors qu’on est à la fac

Et qu’en vrai on passe notre temps

A user nos culs sur des bancs trop étroits

A écouter des types chauves déblatérer

Toute la journée

Déblatérer sur tout et surtout sur n’importe quoi

Heureusement, nos journées se finissent toujours de la même façon:

On rentre et on se fait beau pour la soirée

On met nos polos cols relevés

Puis on se retrouve au QG

Pour picoler des demis à 5 euros

D’ailleurs, quand on a un peu de plomb dans l’aile

On a souvent envie de jouer aux rebelles

Et de crier au taulier:

"Dis donc, tu te prends pour qui, enfoiré?

Tu trouves pas que ta bière elle est un peu chère?"

On le ferait si on avait un peu de cran dans nos artères

Mais on préfère se taire

Et continuer à gaspiller notre thune

A user notre salive pour pas grand chose

Et à fumer comme des sapeurs

Histoire de s’amocher à fond avant d’être vieux

D’agrandir les valoches qu’on a déjà sous les yeux

A part ça on parle surtout des filles qu’on a vu sur le net

Et puis de celles qu’on aimerait attraper en soirée

Car ce soir, comme tous les soirs, on va essayer de niquer

Mais surtout pas de faire l’amour

Parce que l’amour, c’est pour les pédés

Rien de bien choquant finalement:

Des gars parlent des filles qu’ils baisent

Des filles qui baisent pour dire qu’elles baisent

La baise, on en garde souvent des regrets

Parfois des maladies

Au fond on fait ça sans plaisir

Sans réelle envie

C’est surtout pour ne plus penser

Ça cache des plaies à vif mais ça c’est un secret

En vérité on est perdus, désœuvrés, désabusés

Seuls comme des animaux blessés

On est tristes et nos cœurs saignent

Mais on se cache derrière nos grandes gueules et nos mots durs

Entre nous on s’appelle "mec", "meuf", "bâtard", "baltringue", "bitch", "gouinasse", "connard"...

Parce que sans le vouloir, les autres sont un combat permanent

Décidément docteur, on vit une chouette époque

Et dans une chouette ville aussi

Paris

Paris la nécropole

Paris qui sent la carne

Paris qui petit à petit entraîne dans sa chute

Des fragments de nos vies

Paris c’est tellement sain, et nous sommes des gens biens

Tellement biens qu’on est trop biens pour nos voisins

Auxquels on prête pas plus d’attention

Qu’à la pisse derrière la cuvette des chiottes

Parfois j’ai juste envie de hurler:

"T’approches pas de moi! Me touches pas!"

Docteur, il me faut un truc

N’importe quoi

Sinon je vais craquer

Je risque de cogner une vieille, un passant, un mioche

Et ce sera moche

Ce sera vraiment moche